septembre 2021
Bruno Koller, enseignant de karaté
Fabian Biasio, réalisateur mais aussi longtemps élève dans l’école de karaté de senseï Bruno Koller, dresse un portrait touchant et en même temps implacable de la maladie d’Alzheimer dans son film Tiger und Büffel (Tigre et buffle). Le réalisateur montre les difficultés et les défis qu’affrontent Bruno Koller et son entourage. Un film documentaire authentique et encourageant.
M. Biasio, pourquoi avoir voulu tourner un film sur la démence ?
Ce sujet, intéressant en soi, me concernait personnellement, parce que senseï Bruno était mon enseignant de karaté et mon ami. Il était détenteur d’un grade supérieur dans les arts martiaux japonais, mais il était aussi une sorte de « maître de la voie ». Grâce à lui, j’ai appris bien des choses sur la vie et la mort. L’accompagner avec ma caméra m’a permis de mieux cerner ses difficultés et celles de son entourage, liées à la maladie d’Alzheimer.
Comment s’est manifestée la maladie de Bruno Koller ?
C’est comme si sa vue s’était voilée. Son cortex visuel s’est progressivement abîmé et il ne pouvait plus traiter les informations qu’il voyait. Les stimuli visuels n’étaient plus transmis dans les zones où le cerveau reconnaît les formes, les couleurs ou l’information mémorisée, empêchant Bruno de se repérer dans l’espace. Avant de commencer à oublier, Bruno a eu des problèmes de vue.
Régisseur Fabian Biasio
Cela a dû être difficile pour sa vie quotidienne, mais aussi pour les personnes qui l’entouraient. Qu’avez-vous éprouvé en tant qu’ami et en tant que réalisateur ?
Il n’y a jamais eu d’anxiété. Bruno a fait preuve jusqu’au bout d’un fort caractère et pouvait même rire de lui-même. Bien entendu, il avait aussi parfois besoin d’aide, mais cela ne l’a jamais embarrassé. Aller aux toilettes, par exemple.
Il savait quand il devait s’y rendre, mais une fois sur place, il ne voyait plus ce qui distinguait un urinoir des WC. Le jour où je l’ai accompagné aux toilettes, j’ai compris pour la première fois ce qu’une maladie liée à la démence peut impliquer. Et surtout, j’ai mieux imaginé ce que cela devait être pour lui. Il entre dans une pièce, doit aller aux toilettes, aperçoit un objet blanc et ne sait plus comment l’utiliser. À quoi peut bien servir cette chose blanche ? C’est comme si l’on voit une chaise et que l’on ne sait plus à quoi elle sert. Ce doit être terrible.
Parlons de la famille. Comment a-t-elle affronté la situation ?
Dans le film, les difficultés de l’entourage sont des situations dans lesquelles de nombreuses familles se reconnaîtront. Il y est par exemple question d’argent ou de temps, qu’il s’agisse de temps libre ou de temps dédié à la prise en charge. Il y a aussi les disputes familiales, lorsque d’anciens conflits refont surface.
La famille a toujours su trouver un terrain d’entente, c’était crucial. Bruno est ainsi resté relativement longtemps autonome, jusqu’à ce que la prise en charge devienne toujours plus importante. Cela a engendré de nouvelles exigences, source d’un épuisement passager de la famille. Mais comme ils étaient tous des forces de la nature, Bruno le premier, ils ont pu s’en sortir grâce à une aide extérieure.
Cette aide extérieure ne se limitait certainement pas au soutien dans les soins ou à l’offre de répit pour les proches, n’est-ce pas ?
C’est vrai. Bruno bénéficiait d’une assistance de l’APEA (autorité de protection de l'enfant et de l'adulte). Au départ, bien sûr, il ne l’entendait pas de cette oreille : il ne voulait pas que son argent soit géré par des inconnus. Mais cela a représenté un soulagement pour la famille qui n’a pas dû assumer encore plus de responsabilités. Finalement, ils ont réussi à s’organiser pour que Bruno accepte globalement la situation.
D’après votre expérience, qu’est-ce qui peut aider à traverser une crise ?
Au Japon on utilise l’expression Shoganai qui signifie littéralement : « Il n’y a plus de gingembre », ce qui est une catastrophe en cuisine japonaise. Au sens figuré, cela veut dire : « Je l’accepte car on ne peut rien y changer. » C’est exactement la façon dont Bruno a vécu sa démence. Il savait qu’il s’agissait d’une maladie incurable. Il a fait face, n’a pas abandonné le combat mais a appris à s’en accommoder. Il s’est battu et est mort avec la démence. Je crois que lorsque l’on accepte que tôt ou tard, il nous faudra prendre congé de la vie, on peut mener une vie digne et enrichissante, même avec cette maladie.
Que souhaiteriez-vous que les spectateurs retirent de votre film ?
De nombreux Suisses ont le sentiment que grâce à notre bon système de santé, on entre à l’hôpital malade et on en ressort guéri. Et au moment où tombe le diagnostic d’une maladie comme la démence, l’épreuve est vraiment difficile, parce qu’on ne rentre pas chez soi en bonne santé. La personne atteinte de démence doit faire le deuil de quelque chose pour toujours, à savoir sa vie, car l’histoire nous mène inexorablement à la mort. Cette prise de conscience – bien que je me rende compte combien c’est difficile et sans vouloir en rien minimiser le problème – permet de mener une vie digne et enrichissante, même avec ce type de maladie.
Cet entretien a été réalisé dans le cadre de la promotion par Alzheimer Suisse du projet cinématographique Tiger und Büffel.
Tiger und Büffel au cinéma : le film sera projeté et suivi d’une table ronde le 21.09.21 à Zurich lors de la Journée internationale de la maladie d’Alzheimer, ainsi que le 22.09.21 à Lucerne.
D’autres dates de projection :
29 septembre à Uznach, SG / 28 octobre à Bâle / 2 novembre à Berne / 12 décembre à Romanshorn, TG
Plus d’infos sur www.tigerundbueffel.ch
Bon à savoir
Dans le langage courant, le terme démence est souvent connoté négativement et associé à tort avec la folie. Il est cependant utilisé par l’OMS dans son système de classification des maladies et désigne différentes maladies cérébrales qui se manifestent par des symptômes similaires. Le terme troubles neurocognitifs est parfois utilisé au lieu du terme démence.
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